Le risque du tourisme

Le tourisme et la protection des grands sites naturels entretiennent des relations pour le moins ambivalentes. On ne saurait oublier que le tourisme a souvent été – et est parfois encore – à l’origine de la protection et de la transformation de ces territoires, que les premières associations de tourisme, fédératives (Touring Club de France, Club Alpin Français) ou locales (syndicats d’initiative, groupements de professionnels…) ont joué un rôle majeur dans l’institutionnalisation des règles de protection pour des espaces naturels et de hauts lieux remarquables. Cependant, le tourisme va rapidement apparaître comme une activité consommatrice d’espace et perturbatrice pour les écosystèmes naturels. La démocratisation et la massification des loisirs observées durant les Trente Glorieuses se sont accompagnées d’opérations d’accueil souvent destructrices des milieux. Certaines ont même été développées au mépris des classements antérieurs : les exemples sont nombreux de commissions départementales des sites ayant accepté l’urbanisation d’espaces naturels classés en contrepartie d’une « intégration paysagère » des installations ou de l’adoption de mesures – souvent vaines — d’accompagnement de l’urbanisation. Dans nos sociétés urbaines et mobiles, l’avènement des loisirs a conduit à augmenter la fréquentation de ces sites exceptionnels qu’il faut impérativement voir, visiter et parcourir, dans la continuité du « sight-seeing » des aristocrates anglais effectuant le « Grand Tour » au XIXe siècle. Le développement touristique, peu ou mal contrôlé, a contribué à la dégradation de ces espaces naturels fragiles, amplement relatée dans la littérature scientifique. Pour les plus menacés d’entre eux, l’État est intervenu pour favoriser la restauration du site et inciter à la mise en place d’une politique locale de gestion des flux. Sans remettre en cause le principe de l’accueil du public dans les espaces naturels, largement admis en France où les réserves intégrales sont rares et d’extension limitée, l’État tente de diffuser une philosophie de la conservation parfois mal comprise et mal acceptée par les élus locaux ou les habitants. La contestation récente de la réforme du statut des parcs nationaux (allant pourtant a priori dans le sens des intérêts des collectivités territoriales, avec l’élargissement de leur représentation au sein des conseils d’administration des parcs et la mise en place de chartes de territoire) témoigne de l’hostilité de nombreux élus à l’égard d’une politique de protection jugée confiscatoire et contraire aux intérêts économiques locaux. À l’heure du développement durable, la question de la conciliation entre la protection des milieux et la fréquentation touristique demeure posée.